Bulletins en accès public

INTRODUCTION au bulletin par Louis VELLUET.
La psychopathologie liée au travail, quels que soient les aspects qu’elle revêt, concerne les individus. Les médecins de famille n’y échappent pas, la constatation peut en être faite tous les jours. Ils devraient pourtant s’y trouver mieux préparés que d’autres : ce sont eux qui, non seulement la rencontrent quotidiennement, mais se trouvent plongés au plus profond des conflits qu’elle suscite, aussi bien que des drames qu’elle peut provoquer.


Nous avons volontairement laissé de coté le problème spécifique du burn-out (1) ce phénomène d’épuisement qui frappe de plus en plus souvent les praticiens, pour nous en tenir à la méthodologie propre à l’Atelier : le travail sur la clinique de la relation thérapeutique. Nous nous sommes donc attachés à étudier ce qui se passe entre celui qui vient demander de l’aide parce qu’il souffre et celui qui est censé savoir pourquoi et donc détenir le pouvoir de le soulager. Nous verrons, chemin faisant, que la souffrance qui naît à propos du travail trouve ses origines dans beaucoup plus de situations traumatiques vécues ailleurs qu’on ne l’imagine habituellement, que ces situations soient contemporaines ou non. Nous verrons également que le malaise ou le conflit vécus sont pratiquement toujours susceptibles de réveiller des blessures dissimulées. La résolution du trouble sera alors d’autant plus difficile ou longue à obtenir que cette résonance avec le passé, récent ou ancien, n’aura pas été mise à jour.


Un des pièges les plus difficiles à éviter dans le domaine de la pathologie du travail entendue au sens large, concerne les séquelles des traumatismes physiques.
Le chapitre des Accidents du Travail reste un de ceux ou règne, aussi bien dans l’esprit des responsables non-médecins de toutes catégories que dans celui des experts, la plus grande confusion. Ce n’est pourtant pas faute de travaux sur ce sujet, les plus anciens remontant à quelques dizaines d’années (2).Si la réflexion du Séminaire ne s’est pas spécialement attachée à leur étude, elle a néanmoins indirectement contribué à éclairer certains aspects qui posent problème de façon récurrente, tout particulièrement celui des impotences sociales chroniques et des douleurs interminables.


La douleur est dans l’esprit de beaucoup de soignants, nécessairement liée à une modification physique. Il faut savoir que si une lésion ou un désordre physiologique sont obligatoires pour qu’une douleur apparaisse, la durée ou l’intensité de cette douleur dépendra ensuite dans une très large mesure de phénomènes subjectifs et non de l’importance de la blessure ou de la particularité fonctionnelle responsable du début des manifestations douloureuses observées. Dans le tableau initial se mêlent indissolublement la blessure ou le trouble somatique et leur retentissement psychique. Au cours de l’évolution,
il arrive que l’élément subjectif prenne le pas sur la modification somatique et l’on observe souvent que les douleurs persistent, ou même s’intensifient de façon insupportable, alors que pour l’observateur le trouble physique est réparé. Il n’est pas
rare, à l’inverse, ce qui est tout aussi surprenant pour l’observateur, que les manifestations douloureuses aient complètement disparues alors que les atteintes physiques persistent.


Si nous faisons ce détour à propos de la douleur, c’est parce qu’il est ressorti de tous les tableaux présentés dans ce numéro que le médecin de famille exerce une fonction de protection du patient contre l’ignorance, trop répandue, des acteurs institutionnels en ce qui concerne les éléments subjectifs de la pathologie abordée.


Il est, en tant que professionnel bien identifié, le facteur essentiel dans la mise en place des conditions qui permettent au processus de guérison de débuter, puis dans les cas favorables, de s’accomplir pleinement. L’attitude d’acceptation et de recueil sans préjugés de tout ce que déversent ces patients dans l’intimité du cabinet médical suscite parfois l’agacement des intervenants extérieurs. Ils ne la vivent que dans leurs fantasmes, faute de pouvoir y glisser un œil, et cette frustration mal vécue peut expliquer certains commentaires agressifs.
En réalité, cette attitude ne paraît laxiste qu’à celui qui ne s’est jamais trouvé en difficulté lui-même. C’est lorsqu’il expérimente la souffrance de l’humiliation ou du rejet qu’un individu, quel qu’il soit, peut mesurer l’importance de cette interposition entre les structures insensibles et les sujets fragilisés.


C’est l’honneur des médecins de famille que de jouer ce rôle, et il serait dommage que l’ignorance, ou la suffisance, de quelques-uns viennent entraver l’exercice de cette responsabilité première, sans doute aussi vieille que la Médecine elle-même.
L.V.

(1) Michel Delbrouck « Le burn-out du soignant » Ed. de Boeck. 2003
(2)Chertok.L,Bourguignon.O,Velluet.L « L’Omnipraticien et les lombalgies »
Revue de Médecine Psychosomatique. 1973. Tome 4